Editorial: Coup d’Etat au Niger :  que retenir ?

Le Mali, le Burkina, la Guinée et maintenant le Niger qui vient de connaître un coup d’Etat contre le pouvoir démocratique en place. Alors que Niamey avait accueilli les Forces françaises que Bamako a congédiées pour l’appuyer dans sa lute anti-terroriste.  Comment le président Mohamed Bazoum qui avait pris assez d’assurance avec l’arrivée des forces françaises a-t-il pu se faire « déposer » si spectaculairement ? Que retenir de ce putsch au Niger ?

Le pouvoir du président Bazoum à Niamey a été surpris par cette furie des officiers putschistes disséminés dans la redoutable garde présidentielle constituée de soldats d’élites bien formés et équipés.  C’est le Général Abdramane Tchiany, patron de la garde présidentielle, qui semble être l’artisan du putsch contre Mohamed Bazoum dont il était pourtant le bras droit.

Les fins analystes de la lutte contre le terrorisme par le désormais ex-président Bazoum du Niger ne sont pas surpris par la survenue du putsch, seulement quatre mois après le limogeable du Chef des Armées, le Général Salifou Mody, qui avait une approche différente de la question sécuritaire que le président Bazoum traitait en tandem avec les forces françaises arrivées du Mali. Le Général Tchiany, l’homme de confiance de l’ancien président Mahamadou Issoufou, est arrivé au palais présidentiel grâce à ce dernier qui a convaincu son successeur Bazoum de le garder à son poste pour la garantie de sa sécurité. 

La détérioration de la situation sécuritaire du pays et les sorties médiatiques peu mesurées du président Bazoum sur les questions sécuritaires au pays ont sans doute exaspéré les officiers qui voyaient en ce Bazoum un chef d’Etat qui ne faisait plus confiance à sa propre armée nationale.  Pour des questions aussi sensibles qui mettent en jeu la souveraineté du Niger, à un moment où le président semblait plus créer le rapprochement avec les troupes françaises sur place, les officiers ne pouvaient qu’attendre le bon moment pour démettre de force « l’homme des Français » du pouvoir.

Ce d’autant plus que les mêmes accusations portées contre les troupes françaises, quand elles étaient au Mali, à savoir que celles-ci armaient les terroristes, avaient cours au Niger où le président Bazoum les a accueillis à bras ouverts. Contre l’accusation de néocolonialisme en cours au Niger visant la France, Paris a sans doute intérêt à ce que Bazoum, qui s’est aliéné une partie de l’opinion nationale nigérienne en créant plus de rapprochement entre Niamey et Paris, mieux que son prédécesseur Issoufou, reste au pouvoir ou revienne même au pouvoir au moment où la nouvelle junte militaire au pouvoir à Niamey a annoncé la fin du règne du président Bazoum.

Paris dans le tournis, le Sahel livré à son sort

Après la fin de l’opération anti-terroriste Barkhane au Mali en 2022 suivie du départ des forces spéciales françaises du Burkina après l’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, Paris avait trouvé « une porte de sortie » au Niger qui est devenu le pivot de la lutte anti-terroriste française au Sahel avec les 1500 soldats français qui y sont, en plus du millier d’autres soldats français déployés au Tchad où Paris avait, aux premières heures, apporté son franc soutien au coup d’Etat arrivé dans cet autre pays du G5 Sahel. Même si l’amère expérience française au Mali et au Burkina a instruit la France, sa stratégie qui a consisté à réduire ses effectifs militaires en mission dans le Sahel (Niger notamment) n’a pas empêché les Africains des pays du Sahel de suspecter ces soldats français dans les pays du champ terroriste d’avoir un agenda autre que la lutte anti-terroriste.

Cet argument est d’autant plus justifié que, malgré la fermeture des frontières aériennes et terrestres décrétée par la nouvelle junte militaire ayant chassé Bazoum du pouvoir, Paris a fait atterrir un avion militaire à Niamey, défiant ainsi les militaires au pouvoir. Osera-t-elle attaquer la nouvelle junte au pouvoir à Niamey dans une perspective hautement risquée de faire revenir Mohamed Bazoum au pouvoir ? Mystère et boule de gomme. En attendant, l’avenir des relations diplomatiques et de la coopération militaire entre la France et le Niger dépendra du comportement de la métropole vis-à-vis de la junte militaire. Pour le moment, rien n’indique que les militaires resteront dans le schéma de coopération militaire France-Niger adopté par Mohamed Bazoum.

D’ores et déjà, on peut affirmer qu’un boulevard tout fait va s’ouvrir en direction du Niger pour la Sécurité privée russe Wagner. En clair, l’influence de la France va forcément diminuer au Niger. De cette troisième amère expérience en perspective au Niger, il appartiendra à la France de revoir de fond en comble le sens même de ces missions militaires en Afrique sahélienne, pour que les peuples africains soient rassurés sur les véritables objectifs de ces déploiements de forces françaises en Afrique et que le contribuable français sache vraiment qu’il ne paie pas pour que la France politique continue de façon détournée d’exploiter l’Afrique.

Quid de l’avenir du Sahel infesté de terroristes ?

Malgré toutes les récriminations portées contre les troupes françaises au sahel, il est évident que leur présence était d’un apport important à la lutte contre le terrorisme, ne serait-ce que par l’encadrement que ces soldats français ont apporté ou pourraient apporter aux soldats des pays du Sahel. La coopération militaire entre soldats nigériens et forces françaises a du reste permis, début juillet 2023, de neutraliser des terroristes dans la zone des 3 frontières du sahel et de capturer des chefs terroristes dont les têtes avaient été mises à prox par la Transition au Burkina. A quoi ressemblerait le Sahel si la France devait définitivement retirer ses troupes ?

Sans doute que les pays concernés par le terrorisme vont devoir compter sur leurs propres forces militaires et paramilitaires qu’il faut sérieusement doter en matériel de pointe pour la guerre contre le terrorisme. Le Mali et le Burkina le font déjà, avec la diversification des partenariats et coopérations militaires avec d’autres pays , comme la Russie par exemple.

Niamey suivra sans doute ces exemples. En clair, c’est toute l’Afrique qui est amenée à repenser son système de sécurité et le fonctionnement de ses organisations communautaires telles la CEDEAO et de l’organisation continentale qu’est l’UA qu’il faudra travailler à mettre plus au service des causes justes et nobles des peuples au lieu qu’elles demeurent des instruments qui agissent selon la volonté des puissances occidentales qui les ont mieux financées jusque-là. L’Europe et l’Amérique auront le choix de mieux servir les intérêts des pays du Sahel.

L’hégémonisme occidental en Afrique et surtout au Sahel ne fonctionne plus. Le putsch du 27 juillet contre le président Bazoum vient le rappeler. Il faut vraiment tirer leçons des putschs successifs survenus dans les pays africains ces dernières années et admettre pour toujours que les paradigmes doivent changer en faveur d’une géopolitique où les coopérations bilatérales ou multilatérales entre puissances occidentales notamment et asiatiques avec les pays africains soient absolument à bénéfices réciproques.

Lonsani SANOGO

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